Grégory Le Lay Accueil Bio Agenda Contact




Let's Twist Again

 Galerie Distributeur Officiel // Marseille

 
Gregory Le Lay ou du parasitage d’une chaussure par un court de tennis. 
Une critique d’armoire par Hélène Iannone et Arthur Rimbaud.



L’œuvre de Gregory Le Lay se présente comme une installation hétéroclite aux
évocations foutraques. J’y croise l’employé du mois dernier dont l’identité aurait pris les
dimensions hypertrophiques d’un vieux couillon malade en campagne électorale. Sa
gueule pixélisée me rappelle les tronches couperosées de mes potes de beuverie, clodos
clandos et bicots de la rue Curiol dont les bières sont l’art et la gerbe le chef d’œuvre.
Déshumanisé, l’employé du mois –que nous appellerons Jean-Michel par une forme
absurde de conformité- étale sa suffisance mesquine en vitrine du réduit qui lui sert de
boutique. Il me rappelle mes propres désirs d’ascension sociale et me renvoie à ma
finitude : j’aurais voulu être PDG et me voilà boutiquier pour le chauffagiste du quartier.
Heureusement il y a le tennis : Jean-Michel le sait et cultive secrètement son court
particulier au fond de ses mocassins. En rentrant chez lui le soir après une journée saturée
des quolibets de ses collègues, entortillonné dans sa scoliose comme d’autres se drapent
de dignité

Noirs de loupe, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus, crispés à leur fémur
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs


 Jean-Michel se paie le luxe d’un tennis. Bien-sûr, ce n’est pas celui du Country Club de
Beverly Hills et il est parfois difficile de rentrer un smash entre le talon et la boucle du
lacet, mais Jean-Michel s’en contente. Il se sent un peu sportif, un peu bohème –le gazon
synthétique lui rappelle parfois sa bucolique province aux vallons enchanteurs, il se sent
un peu plus un autre lorsqu’il contemple son court intérieur après une partie.

Ils ont greffés dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S’entrelacent pour les matins et pour les soirs !

Ses mocassins sont en cuir. C’est le genre « Yale » : une fente a été découpée sur le coup
de pied pour y glisser une pièce. Ca me rappelle les nouvelles de Salinger et un roman de
Selby, ou encore une vieille ambiance provinciale et rancie de sanctuaire à la Faulkner : il
y a une place pour chaque chose et chaque chose est à sa place et pourtant il y règne un
ineffable malaise, une nausée sans nom que l’absurde alimente de spasmes ponctuels.
Voilà : il y a un malaise de type hépatique dans cette installation aux objets banals, mais
trop banals pour être honnêtes. Qui se cache derrière la face grêlée de Jean-Michel ?


Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges
Sentant les soleils vifs percaliser leur peau,
Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges
Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.

Jean-Michel est né dans une autre galaxie, qu’on appelle Microsoft. Il est en micromégas
dernière génération. Il a grandi ici ou ailleurs, dans cet extérieur parfois triste qu’on
appelle l’envie d’être meilleur. Après avoir fait ses classes au MacDonald’s du coin il est
passé manager chez MySpace. Sa carrière est exemplaire sans être brillante (Jean-Michel
n’innove pas : il éxécute). Il symbolise à mes yeux l’antithèse de l’art, car Jean-Michel
est fonctionnel, il est moi, toi ou un autre. Jean-Michel se fait parfois appeler
Jean-Sans-Peur (et sa femme, en secret, le surnomme parfois Jean-Sans-Saveur), car
Jean-Michel, ne vivant qu’à demi, n’a pas peur de la mort (d’ailleurs, Jean-Michel est
immortel : l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique nous en offre vingt mille
milliards d’exemplaires). Jean-Michel est une matrice, un rhizome : il génère à lui seul
autant de copies de lui-même qu’en souhaite la demande des consommateurs. Il est la
Norme et la Variation, l’alpha et l’oméga, il tourne en boucle à la manière des fractales
ou d’un live techno : il est à la fois le sample et le sampleur.

Et les Sièges leur ont des bontés : culottée
De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ;
L’âme des vieux soleils s’allume emmaillotée
Dans ces tresses d’épis où fermentaient les grains.

Qu’est-ce que l’art ? Q’est-ce que la littérature ? Qu’est-ce qui distingue le discours
poétique du discours non-poétique ? C’est sans doute cette envie de leur foutre au cul et
de passer sa nuit à zoner de rades en rades en pensant à notre jeunesse perdue, au temps
qu’on a passé à perdre notre temps, à la Grande Œuvre qu’on produira jamais et au
maudit spermatozoïde absurde qui s’est enfiché par erreur dans l’ovule de ma mère un
soir d’alcoolémie (vision romantique de l’art, lire ou relire le Werther de Goethe). C’est
sans doute cette peur de mourir si forte qu’on fait tout pour se précipiter dedans (vision
projectiviste et behavioriste). C’est sans doute ce bruit de la mer qui descend et mon foie
qui crie n’en jetez plus (vision sanitaire et alarmiste). C’est l’histoire du coup de dés qui
jamais n’abolira le hasard. C’est la part maudite, c’est le Démon qui s’empare de moi
quand au milieu de ma petite vie domestique d’animal dressé et astiqué je me mets à
hurler : « à poil ! ». C’est Dreyer, Apollinaire et J-L. Costes et leur improbable rencontre
sur une table de dissection à huit heures du mat avec trois grammes dans le sang sur la
route perdue de Los Angeles. C’est la Vénus au Picon, c’est mon doigt dans l’absolu et la
moitié de tes fesses dans la folie.


Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,
S’écoutent clapoter des barcarolles tristes,
Et leurs caboches vont dans des roulis d’amour.

Jean-Michel s’en fout. Il a bien essayé, une fois (nous avons des témoignages plastiques),
de mettre un pot de fleur sur des patins à roulettes et de lui faire dévaler la perspective
Nevski en hurlant des slogans tayloristes. C’était sa période surréaliste mais suite aux
recommandations de ses supérieurs, il a abandonné la poésie et s’est remis au tennis. Un
jour il s’est peint en bleu et on l’a vu se balader plusieurs heures d’affilée dans le quartier
du Marais en portant dans ses bras un lapin mort. Il lui expliquait l’art parait-il. C’était sa
période Klein mais suite aux explications d’un historien de l’art épileptique (il confondait
Yoko Ono avec Yolande Moreau), il a arrêté l’art conceptuel et a repris son boulot.

-Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage...
Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,
Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !
Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés